Retour à l’état primitif de Jenny Gutmann

Dans ma série de présentation des travaux des étudiants de dernière année en photographie à l’école supérieure des arts de Saint-Luc à Liège. Voici le travail de Jenny Gutmann qui est intitulé « retour à l’état primitif ». Cette jeune photographe a travaillé sur des corps et des visages qui sont enduits de terre, de sable, de poussière, de graisse ou de racines…Elle a également utilisée une lampe de poche comme technique d’éclairage, cette lumière particulière renforce l’ambiance par sa dureté et par des effets de bougés qui sont dus aux vitesse lente d’obturation.

Lors de la présentation de son travail au jury, Jenny avait présenté celui-ci sur des grands tirages, la richesse de cette présentation permettait de mieux découvrir tous les détails dans la matière, malheureusement il est plus difficile d’apprécier cet univers sur des petites photos sur internet. Voici tout de même son travail et son texte de présentation à l’identique pour mieux apprécier sa démarche.

Retour à l’état primitif

« Il est hélas devenu évident aujourd’hui que notre technologie a dépassé notre humanité »

(A. Einstein)

L’état originel, ce que les plus pessimistes d’entre nous nomment les racines du mal, terme auquel je préfère celui d’origine de notre humanité. Avec pour toile de fond, un retour à l’état originel de l’Homme, je vous propose dans les quelques lignes qui suivent une remise en contexte de mon travail photographique, une libre interprétation de la société dans laquelle j’évolue jour après jour, n’en finissant de m’étonner, de me lasser aussi.

Alors soumis à aucune loi, l’homme a appris à évoluer librement. Cette liberté sera certes éphémère. Les ressources naturelles étant illimités, les besoins des uns et des autres sont satisfaits et ce, sans distinction de classe. Les besoins des hommes sont à portée de main, de poings parfois. Les marketers, obéissant à un seul ordre : susciter le désir pour créer de nouveaux besoins, sont loin d’avoir fait leur apparition. Ainsi, seul importe la survie, la reproduction du groupe. L’Homme ne maîtrise pas le langage des mots ni l’écriture. Ses sens sont aux aguets, son instinct le guide, mais jamais ne le trompe. La raison n’a pas encore pris le pas sur les émotions. L’esprit n’est pas érigé en état supérieur, le corps n’est pas relégué au rang de source de péché. Chemin faisant, l’Homme a évolué pour le meilleur comme pour le pire.

La société actuelle m’a amenée à repenser les origines de l’Homme. Cette société dans laquelle consommation et profusion s’entremêlent. Dans notre système capitaliste, les désirs sont sans cesse remis à jour et se confondent aux besoins. Le bonheur est fait d’accumulations. De maîtrises par l’esprit aussi, des événements comme des corps. Paradoxalement, ne prône-t-on pas, par exemple, de consommer encore et toujours plus tout en se conformant à l’idéal de beauté actuel qu’est la minceur?  La beauté placardée est elle aussi sous contrôle, retravaillée à grands coups de Photoshop. L’Homme moderne pense pouvoir régner sur la vie sur Terre au moyen d’une parfaite domination des éléments, rendue possible par le progrès et la technologie. L’engrenage de la machine semble bien rôdé, le cycle sans fin, à moins que … Ne faut-il pas voir dans les crises actuelles (écologiques, économiques, sociales) un signe, un avertissement? Les excès, les abus finissent par prendre un tour critique inexorablement.

Ainsi, cette réflexion m’a poussée sans prétention à repenser la photographie telle que j’aime la concevoir. Je souhaite en effet aller au-delà de la photographie vide de corps et d’âme, au nom d’un retour à notre humanité, à nos origines lointaines. Faire renaître les émotions enfouies en nous au moyen d’un travail sur les matières naturelles, brutes … telle est l’objectif que j’ai tenté de poursuivre. Cette observation personnelle a généré un désir: ne pas embellir mes modèles – procédé propre à la publicité traditionnelle – mais au contraire dévoiler la véracité des choses sans pléthore d’artifices, au travers d’un regard.

La grandiloquence, la photogénie, la saisie du moment exceptionnel ou encore le spectacle du monde ne se retrouvent pas devant l’objectif de mon appareil. A l’inverse, je souhaite avant tout exposer les choses dans leur simplicité afin que nos systèmes de valeur, la technologie soient interpellés. Évidemment, même si les photos ne permettent pas à elles seules de bouleverser le cours des choses, elles peuvent néanmoins susciter le questionnement et la réflexion. Pour se faire, il ne faut pas négliger le sensuel, le primitif, la poésie, l’inconscient, la magie. Conserver précieusement cette part « d’irrationnel » est gage d’une plus grande capacité expressive. Par ailleurs, la photographie permet aussi de révéler la beauté des choses banalisées, jugées trop ordinaires et sans intérêt par notre société de consommation d’images qui impose les valeurs marchandes dans le but de concrétiser directement nos désirs matérialistes. Nous vivons dans une société en évolution permanente dans laquelle beaucoup trop de choses sont dépersonnalisées et laissées sur le carreau. Les propos d’Einstein cités ci-dessus prennent tout leur sens. Un triste constat qui illustre mon besoin profond d’opérer un retour à nos origines, à la terre par l’utilisation de matières naturelles directement posées sur les corps et les visages. A mon échelle, j’aspire à susciter la réflexion sur notre état naturel, celui dans lequel « L’Homme est dépourvu de relation morale avec ses semblables, c’est un animal ni bon ni mauvais, parce qu’il est ignorant du bien et du mal ». Il s’agit également d’une opportunité de recréer par l’image une complicité avec la nature qui, petit à petit, s’éloigne de nous. La faute notamment du progrès qui a permis à l’Homme de transformer la nature afin de la soumettre à ses moindres envies.

Comme vous l’aurez compris, ce souhait d’aller à contre-courant est un choix librement personnel. A l’heure où la photographie a recours de façon croissante à la technologie pour transformer ses sujets, je vous propose d’utiliser des éléments naturels afin d’évoquer le retour à notre état primitif et faire naître des sentiments enfouis. Les corps, les visages sont enduits de terre, de sable, de poussière, de graisse ou de racines…

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